top of page

LE TECHNICIEN DU FILM

Un parcours atypique
Interview de Steve Moreau

<

LE DINER DE CONS, JEANNE D'ARC, ASTERIX ET OBELIX CONTRE CESAR, LE PLACARD, LE PACTE DES LOUPS... Steve Moreau, jeune assistant-opérateur de moins de trente ans, a travaillé sur les plus gros succès du cinéma français de ces dernières années.

Passionné et lucide il dévoile les différentes facettes d'une profession peu connue.

Quel est votre parcours ?

Celui d'un OVNI! Je suis arrivé dans ce métier en ne connaissant absolument personne dans la profession. Je travaillais au Festival du Film de Sarlat comme stagiaire de production, et j'ai eu la chance de rencontrer Michel Loubeau, le DRH de Gaumont. Il a apprécié mon travail et m'a conseillé d'aller voir son Directeur des productions longs-métrages, Philippe Desmoulins. C'est lui qui m'a fait démarrer dans le métier sur "LE DINER DE CONS" en tant que stagiaire vidéo, doublure lumière de Thierry Lhermitte et assistant personnel du directeur de la photo italien, Luciano Tovoli (AIC).

Avez-vous fait une école de cinéma?

Je n'ai pas suivi d'école, mis à part mon service militaire à l'ECPA (Etablissement Cinématographique et Photographique des Armées). Je n'en avais pas envie. Bien que certaines écoles privées me semblent des "pompes à fric", ce n'était pas une question d'argent. La plupart d'entre elles ont des principes trop rigides et vous "formatent" comme une disquette. Les personnes qui apportent quelque chose à ce métier et le font progresser sont celles qui gardent leur personnalité.

Comment avez-vous appris votre métier?

Pour obtenir un premier emploi dans le cinéma, et surtout comme assistant caméra, il faut connaître certaines règles. J'ai débuté comme stagiaire vidéo et me suis retrouvé entre le réalisateur et le directeur de la photo. Mais c'est cela qui fait la richesse. J'ai ainsi eu deux points de vue : celui du réalisateur par rapport à la globalité de son film et celui du chef opérateur qui est plus technique mais aussi artistique par rapport aux souhaits du réalisateur. N'ayant pas eu de formation à travers une école, effectivement il me manquait certaines bases. Donc j'ai appris sur le tas en regardant travailler de vrais professionnels. Le cadreur Yves Agostini, rencontré la première fois sur "LE DINER DE CONS", a commencé à m'éduquer. Il m'a beaucoup appris sur la technique, le cadre, la lumière, mais aussi la façon dont travaillent les gens et le comportement à avoir sur un plateau. Le respect que l'on doit avoir envers les ouvriers, les techniciens, les comédiens et une certaine hiérarchie qui existe sur les tournages sont des choses primordials. Il est très important d'observer. En regardant les machinistes caler un travelling, monter une grue et les électriciens fixer et régler les projecteurs, j'ai énormément appris. Que vous fassiez un court-métrage, un téléfilm, un long-métrage ou une super production américaine, le processus est identique. On apprend en regardant travailler les professionnels, çà ne fait pas partie de l'enseignement dispensé dans les écoles de cinéma.

Quel est votre regard sur la formation actuelle?

Je pense qu'il y a une énorme différence entre la formation que l'on donne dans les écoles et la réalité des essais caméra, la réalité des tournages. Les enseignants sont souvent déconnectés par rapport aux réalités du marché du travail. Pendant de nombreuses années, ils donnent des cours et généralement n'ont pas fait ou ne font plus de cinéma. Exception faite de quelques intervenants qui continuent à pratiquer leur métier, et viennent de façon ponctuelle à la Femis, à Louis Lumière ou ailleurs, certains enseignants sont à des années lumières de la réalité. Les métiers du cinéma évoluent très vite en fonction des nouvelles technologies, des nouveaux matériels et de l'évolution des coûts de production. Ce que l'on apprend dans les écoles est souvent obsolètesou rarement appliqués sur les tournages. La détermination me semble plus forte que tout. Plutôt que le dépenser dans une école, il vaut mieux utiliser son argent pour faire sa propre formation : essayer de travailler, aller sur des plateaux, suivre des stages et surtout faire des rencontres! La finalité n'est pas pour moi seulement technique, elle est surtout humaine.

Voyez-vous des points positifs dans l'enseignement?

La part théorique, bien entendu. Les écoles intéressantes sont celles qui demeurent en contact avec la profession et vous mettent en relation avec un grand nombre de techniciens. La réussite dans ce métier repose sur des bases relationnelles et certaines écoles peuvent apporter ce côté positif.

Quelles sont vos suggestions pour améliorer la formation?

Il faudrait que les enseignants se rendent chez les loueurs pour assister à des essais caméra et fréquentent davantage les tournages. Cela leur apporterait une formation continue, adaptée aux réalités. confrontés aux vrais problèmes de notre profession, ils pourraient ensuite enseigner les bonnes solutions à leurs élèves.

Quelles qualités indispensables doit posséder un second assistant caméra?

Tout d'abord l'humilité. Ne pas oublier que l'on ne connait rien. Savoir écouter les autres et en tirer un enseignement. Ce métier demande beaucoup de sérieux, de discipline et de concentration. Un assistant opérateur doit aussi posséder une vraie sensibilité artistique, être proche des comédiens, comme le cadreur et se montrer un peu acteur de la scène qui se tourne. Outre son professionnalisme, il doit posséder de vraies qualités humaines et savoir travailler en équipe. Une équipe caméra est un microcosme incorporé dans un autre microcosme. La réussite d'un film se mesure souvent à la capacité qu'ont les techniciens à travailler en équipe. Cela ne s'apprend pas toujours dans une école...

Quelles recommandations donneriez-vous à ceux qui souhaitent entrer dans cette profession?

Suivre les élans de son coeur et faire ce dont on a envie. Ce qui me semble le plus important est de se poser la question : ai-je tout de suite envie de travailler et de découvrir la réalité professionnelle? Certains auront besoin de passer par une école et se nourrir de théorie, avant de se rendre sur un tournage. Si l'on ne se sent pas encore prêt à entrer dans la vie active, si l'on veut prendre du recul, sans doute faut-il d'abord suivre une école... Si cela est possible financièrement. Parfois quelques années de cours sont nécessaires pour prendre conscience de ses désirs. D'autres auront peut-être le souhait d'aborder tout de suite le monde du travail. Dans ce cas, il faut avoir des tripes, foncer et aller sur le terrain. C'est ce que j'ai fait.

En conclusion, école ou formation professionnelle?

Récemment, j'ai enchaîné deux longs-métrages avec des premiers assistants différents. Alain Herpe a fait une école prestigieuse et Dominique Delguste est sorti du rang. Tous les deux sont devenus de très grands assistants et leurs parcours ont fini par se rejoindre. Si l'élément, l'homme, est bon, qu'il ait fait ou non une école, il fera une belle carrière. Pour déterminer ses choix et ses envies, seule compte la fois que l'on place dans son métier.

 

Propos recueillis par Olivier C. Benoist dans le n°515 (du 15 octobre/ 15 novembre)

du magazine "LE TECHNICIEN DU FILM".

^

bottom of page